Violence et religion 1

Cela fait plusieurs fois que j’entends dire que la source de la violence est à chercher dans les religions et tout particulièrement dans les monothéismes, la dernière était dans un article récent de "Philosophie magazine". Ceux qui croient en plusieurs dieux, les adeptes des religions naturelles, seraient plus tolérants du fait de cette diversité. Les adeptes d’un Dieu unique se crisperaient sur leur foi parce qu’ils sont persuadés d’être les seuls détenteurs de la vérité. Je n’ai pas l’impression pourtant que les peuples que l’on dit "premiers" fassent preuve d’un pacifisme exceptionnel. À la suite de René Girard, je serais plutôt d’avis que la violence vient du désir des hommes de l’emporter sur ceux qui les entourent, il appelle cela la violence mimétique, mais après tout ces deux affirmations sont conciliables.

Qu’est-ce qu’étaient en effet les Croisades, que l’on nous reproche encore 900 ans après, sinon le choc entre deux religions monothéistes voulant faire preuve de leur supériorité ? Il n’y a pas de quoi être fier de ces épisodes d’autant que le christianisme ne s’y est pas montré à son avantage, incapable qu’il était de reconnaître les finesses de l’Islam de ce temps. Mais est-ce que toutes les limites humaines sont imputables à la religion ?

Le deuxième épisode sombre de la vie de l’église d’occident est sans conteste la période peu reluisante de l’Inquisition. Pourtant, est-ce bien la religion qui est en cause ? Elle l’est sous une forme pervertie, quand une église triomphante et sûre de son pouvoir, comme du fait qu’elle détiendrait la vérité dans sa totalité, se met en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux de l’amour du prochain. Nous sommes bien loin du message de Jésus. Il n’empêche que la mise en garde est sérieuse aujourd’hui où les intégrismes recommencent à pointer. Quand les religions sont en passe de dominer la société le danger est grand. Mais justement, Jésus a toujours refusé le pouvoir qu’on lui offrait et la faiblesse politique de l’église actuelle est un bienfait pour tous.

Je ne cherche pas à minimiser les fautes de l’église et des églises. Elles ont un passé chargé. Je reconnais que ce serait bien plus simple s’il suffisait de mettre la religion à l’écart pour que la violence disparaisse du monde. Je crois malheureusement que le problème est beaucoup plus grave. Je pense que tout groupe ou toute personne qui se voit attribué un pouvoir absolu devient un danger et les chefs religieux sont tout particulièrement concernés.

Il n’est pas rare de plus que la religion serve de masque aux visées hégémoniques de ceux qui veulent prendre le pouvoir. Je n’en veux pour preuve que les guerres dites de religion dont les motifs religieux ne sont que des prétextes à la soif de pouvoir des hommes.

On nous reproche également les activités missionnaires de l’église, destructrices des civilisations qu’elles ont rencontrées. Il est vrai que les missionnaires sont souvent arrivés en même temps que les colons, quand ils ne les ont pas précédés. Le christianisme a de ce fait été reçu comme la religion des étrangers, que l’on s’en méfie ou qu’on les envie. Les ambitions des uns et des autres étaient cependant bien différents : quand les préoccupations des colons étaient essentiellement mercantiles et visaient la suprématie politique de leur pays, les missionnaires, avec quelques enseignants et scientifiques, ont cherché à comprendre le pays où ils débarquaient. Ils ont appris les langues locales, en ont reconstitué la grammaire, établi des vocabulaires et des dictionnaires. Ils ont été curieux des us et coutumes des pays traversés, ont étudié les rites et les religions des personnes à qui ils s’adressaient ; les uns et les autres ont cherché à faire œuvre d’éducation.

S’ils ont fait des dégâts, c’est qu’ils ont été incapables de détacher leur enseignement de leur culture propre. Occidentaux ils ne savaient pas penser autrement que dans leurs schémas, ils n’ont pas su détacher leurs propositions de la forme dans lesquelles ils les avaient reçues. Ils n’avaient même pas idée que cela pouvait être nécessaire. Alors ils ont imposé leur culture. On les a donc accusés de colonialisme parce que leurs interventions ont mis à mal les cultures avec lesquelles ils étaient entrés en relation. Mais pouvait-il en être autrement ? On peut comprendre leur ardeur à transmettre ce qui était essentiel pour eux de leur culture et de leur religion. S’ils n’ont pas respecté les manières de penser qu’ils rencontraient, y compris quand ils ne manquaient pas d’admirer ce qu’ils découvraient, c’est qu’ils ne pouvaient pas imaginer que leurs manières de penser et de vivre n’étaient pas universelles. Avec le recul que nous avons aujourd’hui, nous comprenons ce qui n’a pas fonctionné dans leur démarche tout en continuant à nous poser la question du comment faire pour introduire du neuf dans le respect de la diversité des cultures.

Il est clair, pour ce qui est du catholicisme, que la rencontre de Jésus provoque nécessairement de profondes modifications dans l’existence de celui qui devient chrétien. Il est aussi évident que la foi au cours des siècles s’est profondément adaptée à la pensée occidentale dans une interaction qui les a modifiées l’une et l’autre.

Pourtant, dans un contexte nouveau, il ne s’agit pas de remplacer une culture locale par une vision chrétienne occidentalisée. Le christianisme, qui a pris corps dans le monde occidental, est capable de prendre corps dans d’autres cultures. Sauf que cela ne peut pas se faire par des hommes venus d’ailleurs. Le message une fois annoncé, même mal, doit ensuite être digéré par la culture dans laquelle il s’implante, reformulé de l’intérieur par ceux à qui il est destiné. Les formes concrètes du culte à rendre à Dieu sont à réinventer à nouveaux frais. La manière occidentale d’être chrétien est une manière aboutie et respectable de prendre la suite de Jésus, mais d’autres sont à inventer en Asie, comme c’est déjà le cas en partie en Afrique et en Amérique du Sud, comme aussi dans les différentes classes de la société. Quand les instituteurs enseignaient "nos ancêtres les Gaulois" aux petits africains, les missionnaires célébraient la messe en latin. Depuis les africains font de l’histoire à leur façon et ils inventent leurs manières propres d’être chrétiens, tandis que des prêtres africains viennent évangéliser la France. Le dialogue s’équilibre, les violences s’estompent. C’est toujours mieux que de vendre des armes.

Plaise à Dieu que ce mouvement ne soit pas rompu par les intégrismes qui menacent.

 

Laisser un commentaire