Nous fêtons les 50 ans de l’ouverture du concile Vatican II. J’entrais au grand séminaire quand il s’achevait.
Je me souviens encore du sentiment de libération que j’ai éprouvé à cette occasion. Ce n’était pas une révélation soudaine mais la sensation que quelque chose bougeait enfin dans notre sainte église engluée dans des siècles d’immobilisme. Cela passait par des détails, comme quand j’ai réalisé qu’il me serait possible de devenir prêtre sans endosser la soutane qui m’aurait coupé définitivement de mes amis, de mon quartier, du milieu qui m’avait vu grandir. Je pouvais rester fidèle à mes origines tout en répondant à l’appel que je pensais avoir reçu.
Je n’avais que 18 ans et je n’en suis pas resté là. Mes premières impressions allaient se préciser, c’était plus qu’une affaire de vêtement, l’église amorçait un dialogue avec le monde. Le français que l’on commençait à utiliser pendant les offices était le signe que les chrétiens sortaient de leur isolement, ne croyaient plus posséder toute la vérité, ils perdaient le complexe de supériorité qui les amenait à condamner ceux qui n’étaient pas de leur bord. Les intuitions des mouvements d’action catholique et des prêtres ouvriers prenaient corps en dehors de ces cercles.
Séminaristes, c’est donc avec enthousiasme que nous nous sommes mis à lire les textes du concile et à les étudier avec nos professeurs. Nous avons appris à jongler avec des notions complémentaires comme église/Monde/Royaume, ou Foi/salut. Le salut n’était plus réservé à ceux qui avaient la foi ou à ceux qui étaient baptisés dans l’église catholique, il s’ouvrait à tous les hommes de bonne volonté. Le Royaume et l’église ne sont pas superposables, le premier est bien plus large et englobant. Ces propositions étaient certes très anciennes puisqu’elles remontent aux Pères de l’église, on les retrouve dans la théologie traditionnelle, mais elles avaient été ensevelies sous des fatras d’habitudes, de rubriques mesquines, par les crispations d’une église repliée frileusement sur ses certitudes, enfermée dans sa tour d’ivoire comme dans une citadelle assiégée.
Moins que de nouveauté, c’est l’impression de retour à l’évangile qui était dominante, retour à la source, à la vraie Tradition, celle qui repose sur la personne de Jésus-Christ. On respirait plus librement en espérant un vrai renouveau.
Au séminaire il y avait deux types de professeurs : ceux qui partageaient notre enthousiasme naissant et notre envie de retrouver l’essentiel et les autres qui persistaient à nous réciter un cours qui datait de dizaines d’années, qu’ils reprenaient à la virgule près, avec les mêmes plaisanteries que nous anticipions puisque nous avions les notes de nos prédécesseurs. Certains de ces enseignants avaient certes des excuses puisqu’ils avaient été condamnés par la hiérarchie pour des audaces passées mais leur ronron était insupportable. Alors nous les avons fait partir, les uns après les autres, qui en pleurs, qui en colère, par notre absentéisme ou nos chahuts. Les remplaçants faisaient rarement long feu s’ils rabâchaient à leur tour !
Ceux qui sont restés nous ont appris à chercher, à penser d’une manière responsable. Le travail avec eux nous enthousiasmait, même quand Gabriel Pelloquin nous demandait de compter le nombre de fois où se trouvait le mot « salut » ou « dialogue » ou « monde » dans les textes conciliaires. Sans bien comprendre l’ensemble de ce qui se passait, nous avions l’impression de vivre un tournant décisif.
Nous sommes allés trop loin ? Sans doute. Nous avons trop fait confiance au monde ? C’est probable. Combien de messes bavardes où l’écriture et la prière eucharistique avaient peu de place ! Combien de cantiques d’une désolante banalité ! Combien de musiques dignes des supermarchés !
Depuis nous avons fait des progrès en intériorité. Les chants et les psalmodies gagnent en qualité, les liturgies sont souvent belles et ne manquent pas de solennité, les pratiquants sont alors heureux de prier ensemble. Comment regretter les célébrations d’autrefois qui, si elles ne manquaient pas d’allure, mettaient essentiellement des priants les uns à côté des autres ? Je persiste à trouver ridicules ceux qui s’accrochent à leur soutane, au latin de leur bréviaire, à leur surplis en dentelles… À force de compter les génuflexions, de racler les corporaux, d’essuyer les coupes et de respecter scrupuleusement les règles anciennes, je crains qu’ils perdent de vue à leur tour le lien vivant que Jésus nous appelle à avoir avec le Père dans le monde auquel nous sommes envoyés. Le formalisme va rarement de pair avec la ferveur de la prière communautaire, comme le latin avec l’engagement conscient dans la foi.
Quand je vois les enfants et les adultes heureux de participer à la messe, curieux de découvrir la foi lors des séances de cathé, puisque les parents participent eux aussi, je me dis qu’ils seraient perdus dans les liturgies anciennes. Après une heure et demi de célébration ce Jeudi Saint un enfant demandait à sa mère : « c’est déjà fini ! »
N’oublions pas cependant que, si la réforme liturgique fait partie des conséquences les plus visibles de Vatican II, le concile est allé bien au delà. C’est le retour à l’enthousiasme des débuts du christianisme, à l’envie d’être missionnaire, l’ouverture aux non-croyants pour un dialogue en vérité, la liberté religieuse reconnue à tous, la remise en cause de ses scléroses, une théologie renouvelée… C’est aussi la place donnée aux laïcs, aux femmes en particulier, un partenariat qui s’est progressivement mis en place, des équipes qui sont nées et des responsabilités partagées pour que tous les chrétiens, au nom de leur baptême, deviennent partie prenante dans l’église. Ils animent, se forment, enseignent, dirigent, gèrent… non pour remplacer les prêtres mais parce que c’est leur place de disciples du Christ. Je ne reconnais plus l’église de mon enfance, on y respire plus largement.
Du coup certains s’enrhument et cherchent à refermer portes et fenêtres. Des membres de la hiérarchie prennent peur et tentent de freiner le mouvement. L’église semble se contracter mais il faut la comprendre : il y a bien longtemps qu’elle n’avait pas autant bougé ! Nous ne ferons pas marche arrière.
Un concile œcuménique rassemble les évêques du monde entier pour une redéfinition des enjeux fondamentaux de la foi. Comment des gens qui se disent chrétiens peuvent-ils se placer au dessus d’un concile œcuménique pour mettre en cause sa validité ? Incroyable prétention !
Nous qui tentons d’être fidèles, nous avons à profiter de ce cinquantième anniversaire pour nous remettre à l’écoute des textes votés par les Pères conciliaires. Ne croyons pas que nous en avons fait le tour, ils ont encore beaucoup de fruits à nous offrir.
Intéressant cette vision historique de Vatican II vécue par un jeune séminariste.
Mais je dénote une réelle évolution dans vos propos :
1- au début, jeune séminariste tout feu tout flamme qui bouscule ses professeurs, les chahute et les fait pleurer… faisant fi de toute charité chrétienne, de toute obéissance et respect qui devrait ètre dû à ses supérieurs… triomphant dans le chaos et le brouhaha…
2- et à la fin, respectable curé qui s’offusque quand des chrétiens ont la prétention de remettre en cause la validité d’un concile oecuménique !
Avec toute l’estime que j’entretiens pour vous, pourriez-vous faire preuve d’un peu moins de condescendance et de davantage de cohérence.
Défendez l’obéissance ou bien la révolution, mais pas les 2 dans le mème texte !
je ne mets pas sur le même plan l’obéissance à un Concile œcuménique, validé par les évêques du monde entier, et celle à réserver à une équipe de professeurs incapables de se renouveler quand l’église appelle à l’ouverture.
Amicalement