Ce qui suit est un article paru dans Témoignage, le journal de l’Action Catholique Ouvrière.
Les militants ne sont plus à la mode : beaucoup nous accusent même d’être des hommes du passé. Il est vrai que nous aimons nous référer à l’histoire des luttes pour comprendre l’aujourd’hui. Parfois on nous reproche d’oublier le présent à force de vouloir changer la société. Si, en plus, nous nous disons chrétiens, notre cas s’aggrave : nous mettrions notre confiance dans des croyances de l’ancien temps et nous tolérerions la souffrance dans l’attente illusoire d’une récompense dans l’autre monde…
Pourtant nous sommes bien d’aujourd’hui et, comme nos contemporains, nous n’avons aucune envie de renvoyer le bonheur dans un avenir incertain ! Le temps, il est vrai, a pour nous beaucoup d’importance car nous pensons qu’au fil des générations, notre humanité s’est enrichie grâce à ceux qui ont osé refuser la fatalité. Le temps prend davantage de goût en traversant les époques jusqu’à aujourd’hui et nous en récoltons les fruits. S’il nous est arrivé d’enfermer le réel dans des idéologies figées, nous comprenons mieux désormais que ce dernier est en devenir constant, profondément marqué par des contradictions dynamiques. Cela ne nous empêche pas cependant de chercher encore dans le passé les dynamismes qui ont permis des avancées décisives. Comment partager nos découvertes ?
Certes, puisque les personnes et les conditions de vie bougent, il est logique que les méthodes qui ont fait leur preuve et les réussites dont nous sommes fiers, finissent par ne plus être d’actualité. Aussi, au lieu de transmettre des résultats, vaudrait-il mieux mettre en lumière les processus qui ont sous-tendu nos actions. Mais qu’est-ce à dire ?
Le mouvement est double : d’abord aimer notre monde et les hommes qui l’habitent, puis partir à la découverte de tous les possibles qui y sont présents et apprendre à en jouer ensemble. Commencer par poser sur notre époque un regard d’amour, celui de Dieu, aimer la jeunesse même quand elle nous déconcerte, tel est le point de départ incontournable. Notre présent est gros de l’héritage des générations passées. Comment, sans cette conviction, transmettre notre amour de la vie et ressentir la richesse inestimable de l’aujourd’hui en vivant intensément le moment présent ?
Ce n’est pour autant qu’une première étape : se réconcilier avec le passé est une chose, ouvrir l’avenir est l’autre défi de la transmission, surtout à notre époque où l’espérance est présentée comme une dangereuse illusion. Comment susciter, chez d’autres, l’envie qui nous habite de prendre des chemins nouveaux, de nous lancer dans des aventures, de ne pas nous satisfaire des situations dans lesquelles on veut nous enfermer ? La vie, en effet, est étriquée quand elle s’enferme dans l’immédiateté en refusant de s’élargir aux apports du passé et aux promesses de l’avenir. Inventer des valeurs totalement nouvelles est une tâche insurmontable à moins de se contenter de peu…
La foi devrait nous être utile dans cette aventure : elle nous invite à une relecture toujours renouvelée de ce que nous vivons, à la lumière de la foi des croyants du passé, et elle ouvre l’avenir au-delà même de nos espérances. Loin de nous détacher du présent, elle ne cesse de l’enrichir en nous invitant à y découvrir des présences nouvelles et des promesses prêtes à se réaliser. Même le ciel que nous espérons n’est pas une fuite du présent : il est la promesse d’une vie avec Dieu et avec nos frères dans la plénitude de l’amour. Alors, pour y entrer, inutile d’attendre la fin : privilégier l’amour, c’est pour tout de suite et ça change la vie ! Quant à nos entreprises humaines, la promesse d’un amour de Dieu qui nous anime, loin d’être un handicap ou une raison de se démotiver, constitue au contraire un dynamisme supplémentaire qui nous invite à d’autant plus d’audace que nous ne sommes pas seuls.
« Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante. » Jean 10, 10.
À nous d’en être les témoins.