Donner et reprendre

Une phrase de l’évangile de Jean nous a interrogés quand nous avons préparé la célébration avec les équipes de laïcs : « Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour la reprendre ensuite… J’ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. » 10,18. Ce doit être important puisque c’est présenté comme un commandement venant du Père. Mais pourquoi cette insistance sur le « reprendre ». 

Cela me fait penser à ce que disent les enfants (ou qu’ils disaient de mon temps !) : « donné, donné ; repris, volé ! »

Pourtant, donner sa vie n’est pas un cadeau comme un autre. Celui qui offre un objet ou un service n’attend rien en retour, s’il est généreux. Celui qui donne sa vie, même désintéressé, souhaite que cela ne soit pas pour rien. Il pense en tirer avantage pour lui ou pour les autres. L’acte est trop important pour être sans retour. « Si le grain de blé meurt, il porte beaucoup de fruit. » On ne meurt que pour porter du fruit. Il ne sert à rien que des parents sacrifient leur vie pour leurs enfants si ces derniers n’ont plus personne à qui faire référence. Pourquoi donner sa vie si on ne continue pas à exister pour les autres et avec eux ?

En donnant sa vie pour nous sauver Jésus annonce sa résurrection. La vie qu’il donne, il la reprend transfigurée par le don du Père. Il ne s’agit pas d’un retour à l’état antérieur mais d’un progrès inouï. Il accepte de passer par la souffrance et par la mort uniquement parce que c’est la volonté du Père qui ne veut que la vie en plénitude. Il ne s’agit pas d’un sacrifice à fonds perdu puisqu’il y gagne infiniment.

Certes, il n’est pas facile de donner sa vie, de s’oublier pour les autres, de s’arracher à la paresse des habitudes. Cela demande des efforts en continu. Mais, nous faisons l’expérience inverse : chaque fois que nous nous laissons aller, que nous nous renfermons, que nous refusons de bouger, notre vie s’étiole et notre espace se rétrécit. Nous faisons le vide autour de nous parce que personne n’aime fréquenter un égoïste et nous perdons le goût de vivre.

Donner sa vie représente un gain ; celui qui s’oublie se trouve et s’épanouit pendant que celui qui cherche à se préserver se perd et se rabougrit. À condition bien sûr que le don de soi ne soit pas un chemin de mort, la tentation masochiste de disparaître. Nous acceptons de mourir pour vivre, non pour nous punir ou nous faire du mal. C’est pour cela que nous n’éprouvons pas de ressentiment vis-à-vis de ceux dont les choix sont différents : avec l’argent, le succès, le pouvoir…, ils prennent de fausses pistes. Le seul chemin de vie est celui de l’amour, celui qui aime vit de Dieu parce que Dieu est amour.

Il reste difficile de mourir à soi-même, Jésus lui-même n’a pas vécu sa Passion avec détachement alors qu’il avait conscience de la nécessité de passer par là, avec la perspective d’une résurrection. La tentation est permanente d’abandonner la lutte et de se replier sur des sécurités. Donner sa vie est pourtant le seul chemin vers la plénitude.

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