Aline

Aline s’est pendue.
L’église était pleine pour ses obsèques, elle débordait de monde et pourtant personne n’avait su comment l’aimer. Ni son mari, ni ses enfants, ni ses proches du temps où elle était bouddhiste, ni les chrétiens avec qui elle avait été active ensuite, moi non plus qui la voyais de temps en temps. Elle passait quelques minutes, disait que tout allait bien. Personne ne la croyait sans savoir quoi faire ou quoi dire. Nous étions tous désemparés dans cette église en train de nous demander à quel moment nous avions laissé passer une occasion qui aurait pu être décisive. Où était l’ouverture ?
Elle ne s’aimait pas non plus, courant après un hypothétique équilibre, renonçant et exigeant, tiraillée entre ses désirs contradictoires, donnant tout ce qu’elle pouvait sans savoir ce qu’on attendait d’elle, voulant des autres plus qu’ils ne pouvaient donner et dépassée par ses propres exigences.
Pourquoi est-elle partie ? Pour libérer ses proches ? Pour atteindre enfin l’absolu qu’elle visait ?
Jamais la phrase classique : « qu’elle repose en paix » n’avait pris autant de résonance, c’est bien cela que chacun lui souhaitait, les croyants comme les autres : qu’elle repose après avoir été autant torturée.
Quoi faire devant ce genre de personnes ? Je n’ai pas su accompagner mon frère, je ne sais pas comment me comporter vis-à-vis de mon neveu, je me sens perdu devant ceux qui sont différents de la norme, difficiles à rejoindre, à aider, à aimer. Je n’éprouve pas de vraie culpabilité, plutôt un profond désarroi, incapable de décider s’il faut être dur ou s’il vaut mieux tout accepter en se contentant d’écouter. J’ai souvent envie de fuir, parfois je m’accroche ou je fais des tentatives désespérées sans me poser la question de l’utilité de ce que j’essaye. Je voudrais une méthode et il n’y en a pas, juste l’expression d’un amour qui se cherche et qui ose un impossible échange.
Des fois il semble qu’une bouteille, lancée à l’aveugle, touche un rivage et puis des fois rien parce qu’on n’a pas su, parce qu’il n’y avait rien à faire, parce que l’autre était déjà parti.
Repose en paix Aline. Pardonne-nous de ne pas avoir trouvé le chemin.

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