Nostalgie ?

J’aimais bien les messes de mon enfance, l’ambiance pleine de mystère et les fumées d’encens, les chants que je ne comprenais pas mais que je savais être des prières adressées à Dieu. J’étais pieux, je le suis toujours, et j’aimais bien participer à ces dialogues étranges où s’échangeaient des paroles dont je saisissais mal le sens, alors que je les connaissais par cœur. J’ai même connu à Pau le Suisse, avec son bicorne. Très impressionnant pour un enfant, il arpentait l’allée centrale de son pas majestueux, frappant les trois coups sur le dallage avec sa hallebarde au moment de l’élévation. Il ajoutait quelques coups parfois quand il fallait rétablir le calme, mais rares étaient ceux qui avaient envie de bouger. J’étais sans doute encore plus impressionné par mon père qui restait debout quand tout le monde s’agenouillait. J’y voyais la manifestation d’une grande dignité, tout en me demandant quand j’oserai faire comme lui. Il était aussi un des rares hommes à aller communier.
Je ne renie pas cette manière de célébrer. Le prêtre qui officie doit se sentir soutenu par la prière des paroissiens qui prient dans son dos. Il se retourne de temps en temps, comme pour les encourager : « dominus vobiscum ». Les mots venus d’ailleurs, les chants, tout est fait pour créer une atmosphère, un espace-temps réservé au sacré, détaché des préoccupations quotidiennes, consacré à Dieu. La majorité des participants est prise par cette ambiance, par le rituel qui se déroule d’une manière immuable, sauf quelques garçons qui se lançaient dans quelques mimiques en direction des filles, à gauche, qui font semblant de ne rien voir. Mais c’était de mon temps !
Même après des années de latin, je me rends compte que je suis encore capable de chanter par cœur un Regina cæli, un salve Regina, un Tamtum ergo, un Veni Creator, voire même un Dies iræ sans trop faire attention au sens de ce que je proclame. Cela ne m’empêche pas de prier avec ces textes et ces mélodies qui sont faites pour cela, mais je suis juste accroché, par-ci par-là par un mot, une expression qui trouvent un écho en moi. « Qui Mariam absolvisti et latronem exaudisti, mihi quoque spem dedisti», c’est beau non et émouvant ? Si je m’en donne la peine, je suis capable de tout traduire ou presque et pourtant je n’en ai pas besoin pour me laisser porter par la mélodie des strophes. Quoi de plus priant qu’un grand Salve ?
Il n’y a plus beaucoup de sacré dans nos liturgies, moins de mystère qu’avant. Les enfants restent pris malgré tout par l’ambiance, par l’habit du prêtre, les alléluias, des chants et des mots, des attitudes qui tranchent avec leur ordinaire. De plus, nous avons fait des progrès depuis les premiers excès de la réforme liturgique, où beaucoup de célébrations étaient envahies par des discours, prenant souvent le pas sur les textes et les gestes liturgiques. La qualité des chants s’affirme, le silence s’installe parfois, nous revenons à plus de dignité et de beauté, l’écoute et la prière s’imposent. Bien sûr ce n’est plus comme avant.
Il est possible que ce soit l’espace-temps sacré qu’elles ont connu autrefois qui manque aux personnes âgées de nos liturgies modernes. Elles ne sont plus cadrées et ont du mal, pour certaines, à entrer véritablement dans la masse de mots qui leur est proposée. Peut-être pourtant que, comme au temps du latin, elles savent prendre au vol une expression, un mot, une prière qui les amènent vers Dieu, même sans leur chapelet.
Je ne voudrais pas revenir, quoi qu’il en soit, à la liturgie de mon enfance. Le fait que tout soit en français ne signifie pas, je le sais bien, que tout le monde soit attentif à chaque mot et entre en consonance avec chaque geste. L’attention est souvent flottante, tout en se concentrant sur certains moments forts, sur quelques paroles frappantes des textes, sur une phrase de l’homélie, sur la consécration et sur la communion. Je crois que c’est cela un rituel, en latin ou en français : un mouvement qui se répète à chaque cérémonie et dans lequel on entre de son mieux, que l’on visite chaque fois d’une manière différente, mais qui nous porte à la prière. Il n’a pas besoin d’être obscur pour être inépuisable et le fait que je puisse en comprendre chaque mot ne veut pas dire que jen fasse le tour aisément. La deuxième prière eucharistique, que je récite par cœur, me surprend bien souvent et m’ouvre encore des chemins nouveaux.
C’est peut-être prétentieux de ma part, mais quand je me trouve en face d’une communauté qui prie, il me semble que je prends ces prières dans mes bras étendus et que je les présente au Père. J’aime bien le mot de « collecte » qui désigne la première oraison après le Gloire à Dieu : le prêtre collecte les prières de chacun pour les réunir en un bouquet pour Dieu. J’aime aussi participer au rythme du Notre Père ou du Je crois en Dieu, scandés par une assemblée réunie dans la prière.
Certains disent qu’il n’y a pas assez de silence, qu’un chant au moment de la communion les empêche de prier. Ils ont raison en partie, un peu de silence fait du bien. Cependant nous ne sommes pas à la messe pour faire oraison chacun de notre côté. Pendant l’Eucharistie, la prière se fait collective, communautaire et elle peut passer par un chant, par une hymne proclamée ensemble. Prier ne se limite pas à un repli sur son intériorité, à faire silence et à s’essayer à un dialogue intime, nous avons nos chambres pour ces pratiques. Nous ne sommes pas à la messe prioritairement pour cela mais pour accueillir la présence du Christ au milieu de nous, pour chanter les merveilles de Dieu, pour le remercier et lui demander de nous venir en aide, pour nous soutenir mutuellement dans cette prière et apprendre les uns des autres comment prier.
Les messes traditionnelles sont propices au recueillement de chacun, dans l’intimité de sa conscience. L’ambiance feutrée, les mots chuchotés, le caractère sacré ramènent chacun à sa ferveur personnelle, dans la proximité d’autres fidèles. Le moindre bruit paraît incongru, de même qu’une parole qui prétendrait partager ce que chacun vit dans son intériorité. Tout se passe entre Dieu et l’âme de l’orant fortifié par le rite qui l’environne, la prière de ses voisins et par le prêtre qui officie.
On retrouve plus rarement ce genre de ferveur dans les célébrations d’aujourd’hui. Alors les chrétiens vont la chercher ailleurs pour combler leur manque. On assiste à la multiplication de groupes de prières qui fleurissent de tous côtés. Chaque famille spirituelle propose sa manière de faire et on peut expérimenter, selon ses goûts ou son évolution personnelle, la prière de Taizé, l’oraison carmélitaine, la méthode ignacienne, la spiritualité salésienne… Certains préfèreront la lecture personnelle des textes dans leur « Prions en église » ou s’exerceront à la prière des psaumes sur leur « Magnificat » voire dans le « Livre des Heures » qui n’est plus le bréviaire réservé aux clercs. Les groupes bibliques prolifèrent au moins autant, dans la diversité des approches, cherchant à combler l’attente des croyants et leur soif de s’approcher de la Parole de Dieu ; sans compter les formations en théologie, en philosophie, en histoire, en droit… qui attirent elles aussi.
D’autres vont faire des retraites dans les monastères, participent à des récollections, de plus en plus de personnes se mettent au service de l’église pour préparer les baptêmes et les mariages, accompagner les familles en deuils, préparer les célébrations… Ils demandent des formations pour être mieux à même de rendre compte de la Bonne Nouvelle.
La célébration eucharistique a gardé sa place, au centre de la vie des pratiquants, mais elle n’est plus la référence unique et le seul lieu de ressourcement pour eux. D’autres ont déserté les bancs de nos églises, mais étaient-ils vraiment présents au temps où ils y étaient assis ?
Espérons que nous sommes en train de participer aux semailles d’une église pour demain.

 

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